11 juillet 2007

Pétrarque


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"L'histoire dont je vais vous entretenir a commencé le 6 avril 1327, c'est-à-dire il y a de cela presque 620 ans. Entre six heures et neuf heures du matin, un jeune clerc entrat dans l"église Sainte-Claire d'Avignon. Il s'appelait François Petrarca et nous l'appelons aujourd'hui François Pétrarque. Il avait 22 ans et demi, J'ai dit que c'était un jeune clerc, en effet il avait été tonsuré mais il n'avait reçu aucun ordre religieux et, d'ailleurs, on ne se serait pas douté, à le voir, qu'il appartenait à l'état clérical car il était extrêmement élégant, de mise soignée, coiffé à la perfection, - lui-même s'est plaint dans ses lettres du temps qu'il passait chez le coiffeur- il s'est également plaint des tortures auxquelles il se soumettait en enfermant ses pieds dans les chaussures à la mode.
Pourtant, c'était le mardi saint, c'était un bon chrétien, il venait faire ses dévotions, mais il aperçut dans cette même église, à cette nême heure matinale, une jeune femme - ou dirons-nous peut-être une jeune fille car on n'en sait rien. Son nom, nous ne le connaissons pas, je vous dirais bien, pour vous faire plaisir, que c'était Laure de Noves mais personne n'en sait rien, il n'est même pas certain qu'elle se soit appelée Laure, il est fort possible que ce soit un nom qui lui ait été donné par le poète. Ce que l'on sait, c'est que en la voyant, ce jeune clerc qui ne s'était occupé jusqu'alors que de littérature, est tombé subitement amoureux. Il n'y a jusqu'ici rien que de banal qu'un jeune homme de 22 ans tombe amoureux d'une jeune fille ou d'une jeune femme qu'il rencontre : c'est un cas classique mais la suite est beaucoup plus curieuse.
D'abord ce jeune, je viens de le rappeler, était un lettré, mais un lettré qui écrivait en latin. Et voici que tout un coup il devient poète, et poète dans sa propre langue, en italien, comme s'il s'agissait désormais pour lui de dire des choses qu'un homme ne peut vraiment exprimer que dans la langue qui est la sienne. Il commence donc à écrire des vers. Je dis "il commence donc", au fond nous n'en savons rien. Je pense plutôt qu'il ne s'est d'abord rien passé. Nous avons très peu de sonnets de Pétrarque que l'on puisse dater avec certitude des environs de 1327. Il semble plutôt que ce qui s'est alors produit c'est que la rencontre de cette femme d'une grande beauté ait imprimé dans son imagination une image qui ne devait plus jamais s'effacer. Il semble que cette image travaillant son imagination ait fini par s'emparer de lui et par le posséder à un point que rien ne lui permettait de prévoir.
(...)

L'amour de Pétrarque par Étienne GILSON (Discours de réception à l'Académie française, 29 mai 1947).

Étienne GILSON sur le site de l'Académie française
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